Dans le cadre du Festival Celtomania, qui se déroule du 30 septembre au 27 novembre 2022, La Bibliothèque vous propose un focus sur la légende arthurienne à travers l’Histoire.
« La légende du roi Arthur plonge ses racines dans la nuit des temps. Bien qu’attestée depuis un millénaire et demi, elle continue de nous interpeller ».-Martin Aurell, in Revue 303, n°114
Cet ensemble de récits, centrés autour du personnage du roi guerrier et défenseur, ne cesse de connaître des mutations depuis les premiers textes qui l’abordent. En voici quelques aspects.
Il n’y a pas de trace historique probante de l’existence d’un « Roi Arthur ». Mais des manuscrits, principalement Gallois, datés autour du XIe siècle, transcrivent des traditions orales beaucoup plus anciennes. Il y est mentionné tantôt comme le courageux meneur de la résistance aux invasions saxonnes du VIe siècle en Grande Bretagne, tantôt comme un chef de mercenaires, doté de la force et de l’appétit d’un géant, incontrôlable au point que ses compagnons se chargent de lui rappeler son devoir d’assistance envers les faibles…Un autre récit Gallois ancien, « Kulhwch et Olwen », précise le personnage. C’est un roi prestigieux, entouré d’objets et de compagnons magiques, qui l’aident à vaincre des créatures enchantées. Il apporte assistance aux jeunes guerriers en devenir.
Plusieurs textes ultérieurs liés au Pays de Galles fixent Arthur dans le contexte du VIe siècle, nommant et datant ses victoires et la défaite finale où il trouve la mort. Au début du XIIe siècle, Geoffroy de Monmouth dans son « Histoire des rois de Bretagne », le consacre comme personnage historique qui libère tout le pays, y règne avec noblesse, puis se lance à la conquête du continent, jusqu’à Rome. Cependant, il doit revenir mener un combat à mort contre son neveu Mordred, qui a usurpé son trône et commet l’adultère avec son épouse Guenièvre. Geoffroy, fin lettré, écrit en latin et connaît les codes des chroniques historiques de l’époque, insérant ainsi la nouvelle dynastie régnante des Plantagenêt dans une continuité symbolique avec d’héroïques anciens rois de Bretagne.
Mais l’auteur est aussi proche des Gallois dont il parle la langue et possède la culture orale. Il entrelace donc dans son récit des motifs issus du merveilleux celtique tels que la présence de Merlin qui ourdit par sortilège la naissance d’Arthur, ou encore le déplacement du roi mourant vers l’île magique d’Avalon où les êtres féériques le maintiendraient en vie.
Son œuvre est reprise et traduite en dialecte anglo-normand, langue parlée par Henri II et Aliénor d’Aquitaine, par le chanoine Wace aux environs de 1155. Il introduit le motif de la Table Ronde, symbole d’égalité entre tous les chevaliers, et fait d’Arthur le plus accompli d’entre eux, au combat comme auprès des Dames. Dès lors, la « matière de Bretagne » ne cessera de circuler, d’abord en France puis dans toute l’Europe occidentale, grâce à la transmission par les conteurs itinérants, mais aussi par les nobles alliés aux Plantagenêt, qui se rallient à leurs valeurs, entre autres l’amour courtois.
À la même époque, une iconographie consacrée à Arthur commence à apparaître dans les églises, ici à Otrante
© AKG images, cl. Erich Lessing
Dans la continuité, les seigneurs de Champagne commanditent les écrits de celui qui va conférer au cycle arthurien ses lettres de noblesse littéraire : Chrétien de Troyes. Entre 1170 et 1190, il rédige cinq « romans », c’est-à-dire des textes versifiés, en langue romane (au lieu du latin des lettrés), se démarquant des narrations plus linéaires courantes à l’époque comme par exemple la chanson de geste. Il explore la fantaisie, le plaisir du texte et structure ses récits en fonction de leur contenu, couplant le merveilleux celtique et l’enseignement moral chrétien. Il délaisse la manière chronologique, pour implanter chaque histoire pendant l’âge d’or de la cour d’Arthur. Il utilise Camelot et la Table Ronde comme décor et point de départ des histoires individuelles de chevaliers en quête de l’aventure et de l’amour, étapes d’un renouveau intérieur. Arthur devient alors le modèle, et le garant de la stabilité du royaume. La « Merveille» qui survient sert de déclencheur au périple des héros qui doivent l’affronter, la circonscrire pour rétablir l’harmonie et la joie de tous.
Ses récits font la part belle à Yvain et à l’héritage du légendaire Gallois (« Yvain ou Le chevalier au lion »), à Lancelot passant le pont vers l’Autre monde pour sauver la reine Guenièvre (« Lancelot ou Le chevalier de la Charrette »), mais surtout, il fixe le motif du Graal, qui deviendra le symbole de la quête ultime de sagesse et d’accomplissement dans la littérature médiévale. Dans « Perceval ou Le conte du Graal », texte qui restera inachevé et de ce fait, énigmatique, Perceval, apprenti chevalier naïf aux manières rustiques, se voit confronté à un mystérieux cortège de femmes éplorées portant un plat précieux : il n’osera questionner ce qu’il voit, la suite de son errance ne nous dévoile pas de réponses, la scène reste un mystère.
L’œuvre de Chrétien suscite un tel intérêt, que des adaptations, des continuations vont rapidement proliférer. Les auteurs développeront les thèmes de la quête, soit en multipliant les péripéties chevaleresques, soit en approfondissant le symbolisme chrétien, faisant du Graal le réceptacle du sang du Christ. D’aucuns entrelaceront en longues compilations la trame créée par Geoffroy de Monmouth et les écrits du clerc champenois.
Ces textes seront rédigés, ou diffusés, dans diverses langues aux quatre coins de l’Europe, jusqu’à la fin du XVe siècle. C’est vers 1470 que Thomas Malory achève « Le Morte d’Arthur », récit en anglais et en prose, qui offre à un large public une narration complète et dynamique de la légende. S’en inspireront d’abord Henry Purcell pour son opéra de 1691 : « King Arthur », puis des auteurs anglo-saxons lors de la redécouverte du cycle, aux XIXe et XXe siècles.
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les récits arthuriens se raréfient, les élites s’intéressant bien plus à l’Antiquité gréco-romaine. C’est, comme le décrit William Blanc dans son ouvrage : « Le Roi Arthur, un mythe contemporain », le XIXe siècle qui en verra la résurgence. « Le XIXe siècle », écrit-il « voit l’affirmation du fait national, […] chaque pays se pense […] comme une entité unie par une même identité dont la découverte passe par la construction d’un passé glorieux et mythique ».
Ainsi, les artistes de la mouvance romantique vont remettre au goût du jour les grands cycles médiévaux : par les récits et la poésie, tels William Morris et Tennyson, ou les arts plastiques, tels les Préraphaélites.
La rêverie mélancolique, l’idéalisme chevaleresque et la magie imprégnant ces œuvres inspireront au XXe siècle divers auteurs de fantasy qui réinterpréteront la légende, tels Mary Stewart, Jack Vance, Barjavel ou Robert Holdstock. Tolkien lui-même, en érudit des mythologies européennes, commente des textes arthuriens et en incorpore des motifs au « Seigneur des Anneaux » : le prétendant au royaume sera légitimé en prouvant sa bravoure, il recevra une épée de renom, et, une fois couronné, devra être le roi équitable de tous.
Le XXe siècle voit aussi la floraison d’adaptations cinématographiques dans diverses tonalités. Ainsi, John Boorman déroule une fresque épique inspirée de Malory dans « Excalibur », les Monty Python déchaînent leur humour surréaliste dans « Sacré Graal », Mamoru Oshii dans « Avalon » lie la mystique de la quête à l’immersion dans un jeu vidéo.
En parallèle, folkloristes et ethnologues analysent dans le détail les textes médiévaux, les comparent aux épopées galloises et irlandaises, issues de la tradition orale, ainsi qu’à des collectages récents de contes et rattachent le corpus aux mythes Celtes. Citons par exemple les travaux de Philippe Walter : « Arthur, l’ours et le roi ».
Les recherches en sciences humaines et les innovations artistiques, se complètent pour faire de la légende arthurienne une matière en perpétuel renouvellement, contribuent à la faire connaître et à l’enraciner dans la culture populaire. Depuis les origines du cycle jusqu’à aujourd’hui, des motifs récurrents y sont décelables.
- L’omniprésence de l’Autre Monde : la cour d’Arthur et le monde des défunts et des êtres féériques, s’interpénètrent. La Merveille s’invite devant la Table Ronde et rompt l’harmonie, tout autant que les chevaliers vont chercher gloire et aventure en affrontant la magie de cet étrange pays.
- Les fontaines, les cours d’eau, les gués, l’océan sont autant de voies de passage vers cet « au-delà », parfois nommé Avalon. Ce sont autant de frontières fluctuantes : l’aventurier abandonne en les franchissant les repères d’espace et de temps propre aux humains, pour accéder au territoire magique où toutes rencontres sont possibles et où cent ans de vie peuvent passer en l’espace de vingt-quatre heures.
- La forêt, dès lors que l’on quitte les parages connus et exploités par les hommes, constitue une autre voie d’accès aux terres féériques. Il est possible de s’y réfugier, d’y vivre une étape enrichissante de la quête, mais aussi de s’égarer dans la sauvagine. Merlin d’ailleurs en fera les frais, tantôt emprisonné par amour, tantôt reclus dans une folie qui transforme le sage en Homme Sauvage. Cependant, la question demeure : est-il vaincu par la forêt, ou au contraire lui permet-elle d’accueillir sa part animale ?
- « Le monde du mythe est celui où l’homme et l’animal ne sont pas encore séparés » (C. Lévi-Strauss). Nombre de personnages arthuriens ont une affinité avec un animal, dont ils partagent la symbolique, les capacités magiques… Arthur est lié à l’Ours, Merlin au loup qui fascine et au sanglier du savoir druidique, la fée Morgane aux corneilles comme la Morrigan irlandaise de qui elle a peut-être hérité ses aspects séduisants et inquiétants…
- Les Fées, habitantes de lacs, fontaines, forêts, îles lointaines, sont dotées de grands pouvoirs que les textes médiévaux ne décrivent qu'à mots couverts. Libres de leurs choix et de leurs amours, reflets des déesses et reines qui incarnent la souveraineté celtique, elles mettent les chevaliers à rude épreuve, testant leur fidélité, inspirant des désirs insurmontables, ourdissant des vengeances. Elles peuvent aussi soigner, préserver la vie, comme ces neuf Dames qui emmèneront Arthur en Avalon pour le protéger de la mort.
- L'épée est l'un des axes de l'épopée : forgée dans l'Autre monde par des personnages magiques, renforcée par le sort d'une fée, tirée de la pierre fondatrice par le futur roi légitime, elle porte son propre nom, devient indissociable du guerrier courageux, mais fait défaut entre les mains d'un lâche. A la toute fin, c'est dans les mains de la Dame du Lac qu'elle retourne…
Ces motifs se répondent et s'entremêlent, tels les entrelacs celtiques, représentés sur les armes et les bijoux des héros et des Dames.
Dawid Maisuradse
C'est maintenant à vous, quêteurs de Merveille, de choisir votre entrée pour explorer à votre gré les facettes de la légende.
Retrouvez une sélection de documents ayant trait à la légende et des découvertes musicales dans les espaces de la médiathèque Charles Gautier Hermeland du 25 octobre au 12 novembre 2022.
Pour aller plus loin :
* Ce dossier de la Bibliothèque Nationale de France sur la légende arthurienne à travers la littérature et l’iconographie.
* Le site du Festival Celtomania pour découvrir la programmation.